Qui a peur de Caster Semenya ?
Dieu que c’est compliqué ! Dans le dernier numéro de Zatopek, un article passionnant est consacré à l’athlète sud-africaine et aux problèmes insolubles qu’elle pose aux autorités du sport.
- Publié le 25-09-2018 à 16h44
Dieu que c’est compliqué ! Dans le dernier numéro de Zatopek, un article passionnant est consacré à l’athlète sud-africaine et aux problèmes insolubles qu’elle pose aux autorités du sport.
Caster Semenya est le nom d’une athlète sud-africaine de 27 ans, la meilleure du monde dans sa discipline, le 800 mètres, où elle possède un palmarès déjà riche de deux titres olympiques et trois victoires aux Championnats du Monde. Ses débuts dans le sport de haut niveau datent d’il y a tout juste dix ans. C’était à l’occasion des Championnats du Monde juniors de Bydgoszcz, en Pologne. À l’époque, sa voix grave et son corps musculeux avaient frappé les esprits. Puis la polémique enfla à l’aune de ses performances.À mots plus ou moins couverts, on soupçonnait Semenya d’être en réalité un homme égaré dans les compétitions féminines. En 2009, une enquête de l’IAAF permit néanmoins de démontrer que ces insinuations étaient infondées. Caster Semenya était bel et bien une femme. Cependant, elle était atteinte d’un syndrome "d’hyperandrogénie", c’est-à-dire qu’elle produisait de la testostérone à l’égal des hommes. En aucun cas, il ne s’agit de tricherie. Cette surproduction est le résultat d’anomalies survenues de façon naturelle. Il n’empêche ! Cette hyperandrogénie procure un avantage déterminant dans le sport. Un avantage jugé indu par les autorités. Que faire ?
Une règle faite sur mesure !
Après bien des tergiversations, l’IAAF a pondu un nouveau règlement qu’elle a rendu public au début de l’été et qui devrait prendre cours au premier novembre. Ce règlement semble avoir été conçu expressément pour Caster Semenya. Bien sûr, son nom n’y figure pas en toutes lettres, le texte se contentant d’évoquer les nouveaux "critères d’éligibilité aux compétitions féminines" dans le cas précis d’athlètes concernées par des "différences de développement sexuel".
Dans le futur, les compétitrices ne pourront pas afficher un taux de testostérone supérieur à 5 nmol/L sous peine d’être reversées en catégorie masculine (*). En cas de dépassement naturel du seuil, ces jeunes filles sont encouragées à suivre un traitement anti-androgène. Voilà la nouvelle règle.
Parmi les spécialistes, elle suscite deux types de réactions. Certains la considèrent comme un débordement des prérogatives de la lutte contre le dopage. D’autres justifient la démarche en prenant plutôt en considération la frustration des autres athlètes qui se trouvent systématiquement barrées en compétition par des adversaires aux dégaines très masculines.
On peut discuter à l’infini de la légitimité de ces deux argumentaires. Mais là où les choses deviennent réellement incompréhensibles, c’est lorsqu’on découvre que ce règlement ne s’appliquera pas à toutes les disciplines de l’athlétisme. Seulement aux épreuves de courses et uniquement sur les distances comprises entre le 400 mètres et le mile (1.609 mètres). Tant d’arbitraire, cela donne vraiment l’impression que la règle a été écrite pour exclure du circuit Semenya et ses comparses (**).
Pourquoi elles ? Pourquoi les coureuses du 100 et du 200 mètres sont-elles épargnées par cette obligation ? Pourquoi la règle ne s’applique-t-elle pas aussi aux épreuves de fond ? Et aux sauts ? Et aux lancers ? Par le passé, on a déjà vu des athlètes gavés de stéroïdes anabolisants exploser les records dans toutes ces disciplines soi-disant non concernées. Franchement, on a déjà vu des règlements idiots dans le sport. Mais celui-là mérite une grande distinction tellement il est truffé d’incohérences. On lui donne peu de temps à vivre avant d’être taillé en pièces par de nouvelles plaintes devant la justice.
* L’intégralité du règlement et les études scientifiques servant à le justifier sont à consulter ici.
** On songe ici aux dauphines de Caster Semenya lors de la dernière finale olympique du 800 mètres : la Kényane Margaret Wambui et la Burundaise Francine Niyonsaba.